Mémoire vive / Côté professionnel

Mémoire vive / Côté professionnel
De la découverte de vos ancêtres à la transmission de vos histoires et souvenirs de famille

lundi 18 janvier 2016

Hommage

C'était le premier lecteur de mon blog. Mon père s'est éteint soudainement et brutalement le samedi 19 décembre. Il avait 77 ans. C'est une date qu'il me faudra ajouter dans l'arbre généalogique, cet arbre que je lui faisais découvrir recherche après recherche, branche par branche. S'il connaissait relativement bien l'histoire de sa famille maternelle, en revanche il y avait de nombreuses zones d'ombre du côté de son père disparu alors qu'il n'était qu'un jeune adolescent. Il aimait que je partage l'histoire de ce père militaire, que je parle de ceux qui étaient là avant lui. C'est lui qui m'a donné le goût des histoires de famille et l'envie d'en savoir davantage.

Il a passé sa vie professionnelle commencée très tôt dans les chambres noires des labos photos. Il développait et tirait des photos de baptême, de mariage, de communion, chez un photographe - artisan qui avait sa boutique à Bourges.

©Jourda
Puis il a rencontré ma mère qui passait tous les jours devant la boutique pour se rendre à son travail : elle était infirmière et mon père attendait son passage quotidien en faisant les vitres de la boutique: durant cette période la vitrine n'a jamais été aussi propre... Et puis ils ont fait connaissance et ma mère a fêté ses 20 ans. Puis mon père est parti faire son service militaire et a été envoyé en Algérie. 24 mois de séparation pendant lesquels ils se sont écrits tous les jours. Puis mon père est rentré, puis ils se sont mariés à la mairie de Bourges, et dans cette église de Lormes où ses parents s'étaient mariés avant lui, où il avait été baptisé, et où s'est déroulée la cérémonie de ses funérailles : les trois temps marquant de la vie si chers aux généalogistes ... 

Autre temps fort des généalogistes, l'arrivée des enfants, ma soeur Isabelle d'abord, née à Vierzon où ma mère travaillait à l'hopital, puis mon frère Frédéric et moi quelques années plus tard à Paris, où mes parents avaient emménagé. Mon père venait d'être embauché dans un grand laboratoire pour photographes professionnels. Son fondateur, Pierre Gassmann, l'avait accueilli avec bienveillance et avait entrepris sa formation, avec patience et intelligence.

Il est ainsi devenu tireur pour les plus grands photographes :parmi lequels Henri Cartier-Bresson, Josef Koudelka, Gisele Freund, Raymond Depardon, Sebastiao Salgado . Il était l'homme de l'ombre et avait le privilège de découvrir l'image, avant même le photographe. 

©Jourda
Cette passion de l'image lui était venue de son enfance où il avait touvé des plaques argentiques dans le grenier de la maison de sa grand mère ; en les inclinant à la lumière, l'image apparaissait. La magie d'un instant sans cesse renouvellée à chaque photo tirée. Il avait aussi fait sa première expèrience de photographe en utilisant l'appareil de sa mère, à son insu  ; la lumière passant à travers le voile d'une fenêtre et dessinant des ombres sur le mur, voila qui était trop tentant pour son oeil aiguisé. Il s'était fait grondé de sa hardiesse et surtout d'avoir gaché de la pellicule... il n'en demeure pas moins que cette photo est restée, presque comme un acte fondateur.

Dans un premier temps, il travaillait à deux pas du cimetière du Montparnasse qu'il traversait quotidiennement pour se rendre de leur minuscule appartement de la rue Raymond Losserand jusqu'à son labo. C'est d'ailleurs dans ces allées que j'ai été bercée et promenée les premiers mois de mon existence ; de la mon goût pour la généalogie c'est probable . Passionné par son métier, il a transmis à mon frère cet œil aiguisé qui peut faire la différence entre deux nuances de gris que l'oeil profane voit identique. Il marche sur ses pas depuis bientôt trente ans.

C'était un contemplatif, un voyageur immobile qui trouvait son bonheur dans les images que lui apportaient les photographes qui eux étaient allés les chercher à l'autre bout du monde. Mon père les accueillait avec curiosité, je dirai presque avec gourmandise, savourant à l'avance le voyage qu'il allait entreprendre du fond de son laboratoire. Il était autant passionné par l'image que par l'histoire qui allait avec. Cela le contentait ; le voyage mobile était sa hantise, la foule son repoussoir ultime. 

Il disparait au moment où sa profession-passion tend à disparaitre également, l'argentique n'étant plus que l'apanage de certains photographes devenus minoritaires. 

Désormais il faudra que je fasse sans ce coup de fil qui arrivait quelques heures après la parution de l'article sur le blog et qui me remplissait de fierté, me donnait confiance en mes capacités à effectuer ces recherches. A mon tour, je lui apportais des images et des histoires, ce qui entretenait sa curiosité intellectuelle. Après avoir longtemps cherché, j'avais enfin trouvé le moyen d'entrer dans son monde, et une partie de son univers est devenu mien,

Il est maintenant dans le monde des invisibles et repose dans le cimetière de Lormes, où reposent déjà une grande partie de ses ancêtres. Comme mon père avait déclaré ma naissance, il y a 44 ans, c'est moi qui ai tenu à déclarer son décès à la mairie du treizième arrondissement de Paris. A coté de mon nom de jeune fille, qui est par conséquent le nom de mon père, ma profession de généalogiste témoigne que le flambeau a été transmis, que son histoire familiale et profesionnelle est entre de bonnes mains et qu'elle parviendra à sa descendance actuelle et à venir.