C'est un morceau de papier jauni par le temps, taché à certains endroits, retrouvé parmi des documents de famille qui avaient étaient rangés dans une boite, oubliée depuis. C'est un fragment de vie, le témoin administratif d'une vie éphémère.
Guillaume est mon grand-oncle. Il est le frère ainé de mon grand-père paternel. C'est assez étonnant de lui donner ce lien de parenté - bien réel- sachant qu'il est décédé à 15 ans, son jeune frère encore bébé. Il est pour toujours figé dans l'histoire familiale et dans le temps comme fils ainé ou encore frère ainé ; lui donner le titre de "grand-oncle" c'est lui donner une vie qu'il n'a pas eu le temps de vivre.
Aucune photo, aucun portrait de cet ancêtre et à part ses actes de naissance et de décès, ce diplôme, qui lui donne une dimension sociale ; il a été élève à l'école publique de Chalabre dans l'Aude et à ce titre a réussi son certificat d'études primaires. Il n'a pas encore 13 ans, puisque né le 3 septembre 1891.
On imagine alors en ce mois de juin 1904 la fierté de ses parents et sa satisfaction personnelle d'avoir réussi.
Le 15 novembre 1906 Guillaume devient grand frère. C'est Alfred, mon grand-père qui en cet automne pointe le bout de son nez tout rond. La relation fraternelle n'aura pas hélas le temps de s'installer. Le 21 avril 1907, Guillaume décède brutalement ; l'histoire familiale raconte qu'il avait longuement couru sous le soleil et qu'il s'était désaltéré avec de l'eau glacée d'une fontaine. Une congestion l'avait alors emporté.
Quand je pense à son histoire tragique, me viennent à l'esprit les vers de Boris Vian tirés de son poème "Le temps de vivre" : le contexte est certes différent ( la fuite haletante d'un évadé), mais la symbolique de l'exaltation de l'existence résonne fort quant au destin de Guillaume.
" Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie
Il respirait l'odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l'accompagnait
Et lui faisait danser son ombre
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il sautait a travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil
Les canons d'acier bleu crachaient
Des courtes flammes de feu sec
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l'eau
Il y a plongé son visage
Il riait de joie il a bu
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il s'est relevé pour sauter
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L'a foudroyé sur l'autre rive
Le sang et l'eau se sont mêlés
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
Le temps de rire aux assassins
Le temps d'atteindre l'autre rive
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre"
Version audio
Un document émouvant !
RépondreSupprimerVotre grand-oncle est bien de Chalabre dans la Haute vallée de l'Aude ? Mon grand-père maternel en était originaire et l'une de ses tantes a épousé un Jourda (Marius Marcelin). Quelle coïncidence ! Ces deux familles sont peut-être liées.
Bonjour et merci de votre commentaire ; mes arrières-grands parents étaient originaires de Montmaur et de Saint-Félix du Lauragais. C'est suite à une "mutation" professionnelle qui se sont retrouvés à Chalabre - mon arrière-grand-père était employé par la compagnie de chemin de fer du midi. Le nom de Jourda est assez répandu dans l'Aude ... peut-être des cousins ? A creuser !
Supprimerde rien!
SupprimerEffectivement il y a pas mal de Jourda dans l'Aude, peut-être sont-ils des parents lointains
Si jamais vous avez quelque chose à chercher à Chalabre (un acte non accessible en ligne ou une question sur une rue...) n'hésitez pas à m'en faire part, je connais plutôt bien le village, y compris ce qu'il reste de l'ancien chemin de fer
C'est vraiment trés gentil, je n'y manquerai pas. Je compte cet été faire un livre illustré sur mes ancêtres Jourda, je vous solliciterai certainement. Il existe de mémoire un hameau du nom de Jourda en Haute Garonne - Lauragais ; c'est vraiment un nom du coin. A très bientôt.
SupprimerSuper idée ! si je peux y apporter ne serait-ce qu'une minime contribution ça sera avec joie
SupprimerJe ne connaissais pas l'existence de ce hameau mais effectivement Jourda est un nom typique de la région. Il y a pas mal de Jourdan aussi, sans doute une variante
à bientôt
Chic, un nouveau billet avec toujours ce point de vue judicieux et ce style agréable à lire
RépondreSupprimerQuel plaisir de relire un billet d'Anne, quelqu'en soit le thème. En quelques mots, Guillaume, le grand oncle de 15 ans, nous a touché au coeur
RépondreSupprimerMerci pour cette trouvaille, c'est tout ce que j'aime en généalogie : faire revivre les vieux papiers. Bravo
RépondreSupprimerMerci à tous pour vos commentaires qui me touchent beaucoup et me donnent une motivation réelle pour me remettre à écrire. encore un morceau de puzzle venant s'ajouter aux autres éléments du tableau de mes ancêtres paternels. Voila de quoi faire renaître l'envie !
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