Mémoire vive / Côté professionnel

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De la découverte de vos ancêtres à la transmission de vos histoires et souvenirs de famille

vendredi 21 novembre 2014

Solution

Parfois la solution se trouve sous nos yeux et on ne la voit pas. Plus exactement, on ne regarde pas où il faut.
Comme je l'expliquais dans mon dernier post, j'étais en attente de réponse à un message envoyé à une personne qui affirmait sur la page de son arbre mis en ligne que Etienne s'appelait en fait Claude et que malgré trois actes aux données contradictoires, il s'agissait bien de la même personne. J'étais en possession des mêmes actes que lui et je ne voyais pas comment il pouvait faire cette affirmation. (Si vous avez manqué quelque chose retrouvez le billet précédent ici). Une autre personne sur le même site reprenait ces mêmes données : contactée par mes soins elle me répondit qu'elle avait recopié sans véritablement vérifier ; elle n'était par conséquent pas à l'origine de ces informations. Je contactai donc sa source et dans l'attente de sa réponse éventuelle, je partageais mon énervement sur mon blog (ça sert aussi à ça...)

Et j'ai reçu la réponse à ma question ; mon correspondant avec une très grande amabilité m'expliqua comment il était parvenu à cette équation : Etienne = Claude. Et là, tel le commissaire Bourrel je m'écriais :  "bon Dieu , mais c'est bien sûr "! Je n'avais pas regardé où il fallait, ou plus exactement je m'étais focalisée sur trois actes ; il me manquait le recul telle une hypermétrope sans lunette...

La pièce manquante, l'élément déclencheur se trouvait dans l'acte de décès du fils d'Etienne, que j'avais également en ma possession. Sur cet acte il était mentionné que le défunt était le fils du dénommé "Claude-Etienne". D'après mon interlocuteur, le dénommé Claude quitta la métropole pour la Réunion pour des raisons qui n'appartenaient qu'à lui et qu'il n'a partagé avec personne. Arrivé sur l'île Bourbon, il prit le prénom d'Etienne et au moment de son mariage annonça qu'il était né à Beaune, ce qui n'était pas la vérité. Simple raccourci géographique ? C'est possible. Il ne faut pas oublier que nous sommes alors en 1822, très loin de la métropole et qu'alors les informations ne sont pas directement vérifiables et sont transmises oralement. Le village dont est originaire toute la famille de Claude-Etienne se trouve à une quarantaine de kilomètres et peut-être a-t-il voulu tout simplement "simplifier" ses origines et que depuis la Réunion, cette distance parait bien dérisoire. Il se fait donc appeler Etienne au quotidien. Mais peut-être avait-il confié à ses proches que son prénom de baptême était Claude et la transmission orale a fait le reste.



Mon interlocuteur - qui est un descendant direct de ce Claude - Etienne, m'a également donné des informations complémentaires, tenant de la légende familiale, arrivée jusqu'à lui. Ce n'est pas vérifiable, mais tellement romanesque !

Ainsi, cet homme aurait été un grognard de Napoléon. On suppose également qu'il aurait été en "délicatesse" avec les autorités et aurait fui sa région natale. Il semble être arrivé sur l'île avec un petit pécule qui lui aurait permis d'acheter de la terre et des esclaves. Enfin, toujours selon la légende familiale parvenue jusqu'à mon correspondant, son épouse, dont le prénom varie en fonction des actes, avait choisi de se faire appeler Clémentine pour se différencier de la maitresse de son mari qui portait le même prénom qu'ellle.

Les informations sur une personne ne sont pas seulement contenues sur les actes d'état civil la concernant directement. Des éléments biographiques se trouvent également dans les actes des personnes qui l'entourent et dans lesquels elle apparaît en temps que ascendant ou descendant, ou encore témoin.

Pour exemple cette semaine, j'ai pu reconstituer le parcours militaire d'un soldat pendant la première guerre, en reconstituant la fratrie de son épouse. Il était le témoin de mariage de sa belle-soeur, et à côté de son nom, il était fait mention de son grade et de son régiment d'origine. Jusque là, je savais qu'il avait été décoré de la croix de guerre, ce qui lui donnait le statut de combattant, mais je n'avais pas pu avoir accès  (pour le moment) au registre de matricules, le département dont il était originaire n'avait pas d'archives en ligne.

Grâce à cette recherche, j'ai également pu apprendre que la mère de son épouse était décédée entre avril 1918 et mars 1919, entre deux mariages de ses enfants, car mentionnée vivante dans l'acte d'avril 1918, elle était déclarée décédée dans celui de mars 19191. Ce qui réduit considérablement le champ des recherches.

Alors, je crois qu'il ne faut jamais hésiter à aller plus loin, prendre du recul pour mieux regarder, faire des recherches annexes pour mieux se recentrer et apporter un nouvel éclairage. La vérité est un puzzle.


jeudi 16 octobre 2014

Casse tête

Il y a des cas comme celui là où l'envie vous prend de tout envoyer promener : les fiches papier, les cahiers Muji, l'ordinateur portable et la Box à laquelle on est connecté ; on ficelle le tout, on ouvre la fenêtre, (maintenant je suis au deuxième étage) on lance un "Attention en dessous" (on est énervé mais on ne veut blesser personne) et on lâche tout.


La cause de mon énervement ? un acte ou plus exactement trois actes aux données contradictoires, qui finissent par me faire de douter de l'identité de la personne que je recherche.

Tout part d'un acte de mariage célébré en 1822 sur l’île de la Réunion. Etienne épouse Françoise. Jusque là ça va : l'acte indique que le marié est âgé de 35 ans, qu'il est né à Beaune en Côte d'or, qu'il est le fils d'Hilaire et de Antoinette. Parfait :  lieu de naissance localisé, parents identifiés,on peut progresser.

Le deuxième acte en ma possession est l'acte de décès d’Étienne, survenu en 1868, toujours sur l'île de la Réunion. L'acte mentionne l'age du défunt : 79 ans. Soit il vient d'avoir 79 ans et par conséquent il est né en 1789, soit il les a eu et allait sur ses 80 ans, et par conséquent il serait né en 1788. Or sur l'acte de mariage qui est célébré à la fin du mois de décembre, il est dit qu’Étienne est âgé de 35 ans : ce qui le fait naître au mieux en 1787 ou bien il va avoir 36 ans dans les 5 jours qui restent de l'année et dans ce cas il est né en 1786.

Donc 4 années possibles pour retrouver l'acte de baptême : 1786, 1787, 1788, 1789. Jusque là, rien d'exceptionnel.

Mais ce n'est pas tout : Étienne est le le fils d'Hilaire et Antoinette  ; sur l'acte de mariage et sur l'acte de décès la filiation est identique. En revanche si sur l'acte de mariage il est marié à Françoise, sur l'acte de décès son épouse se nomme Clémentine. Là encore rien de grave, on peut supposer qu'elle se faisait appeler Clémentine et que l'officier d'état civil n'a pas été trop regardant sur le prénom.

On va donc se lancer à la recherche de l'acte de naissance d’Étienne. Direction les archives de la Côte d'or et examen des registres paroissiaux. Nous allons donc partir de 1786 et là c'est l'état du registre qui me donne des vapeurs .

Je sens que ça va être long, très long ! Tous les actes ne sont pas dans le même état heureusement, mais Beaune compte beaucoup de paroisse et l'examen de tous les registres va parfois tourner au décryptage...
Mais bon, je ne lâche pas l'affaire et je m'arme de patience.

Pendant une pause (avec deux aspirines et un café), je regarde sur différents sites Internet pour lesquels j'ai un abonnement si je ne pourrai pas trouver un début de piste, un indice à vérifier. Et là, la chance me sourit ; je retrouve Étienne, fils d'Hilaire et Antoinette,  marié avec Françoise en 1822 à la Réunion. Mais sous deux profils, j'ai deux dates et deux lieux de naissance.
La première piste indique : né le 30 novembre 1786 à Beaune : j'ai beau avoir examiné avec une grande attention la purée de mouches, je n'ai rien trouvé.

La deuxième piste m'envoie dans un village de Cote d'Or, relativement éloigné de Beaune où il semblerait que la famille d’Étienne soit ancrée depuis plusieurs générations. Et la comme indiqué sur l'arbre proposé, je retrouve l'acte de baptême à la bonne date. Mais problème : le prénom n'est plus le même !  Étienne devient Claude. Le père est bien Hilaire, mais la mère tout en se prénommant Antoinette n'a pas le même nom de famille. Je ne doute en aucun de la bonne foi de la personne qui a mis ces données en ligne et je la remercie de les partager. Elle a peut-être raison, mais personnellement, cela me pose un vrai problème de cohérence.  Me voila avec trois actes, deux filiations différentes, deux prénoms qui n'ont rien à voir, deux lieux éloignés, trois années de naissance possible, deux prénoms pour une même épouse.

L'examen des registres n'a rien donné : aucune trace d’Étienne à Beaune. J'ai contacté par mail les personnes qui avaient mis en ligne leurs infos. Une seule réponse à ce jour où on m'indique avoir repris les infos trouvés sur le même site... ce dont je me doutais quelque peu.

Alors me voilà un peu désemparée : je ne sais pas qui croire et surtout sur la base de quel document.
Il me manque une pièce du puzzle qui me permettrait d'établir le lien entre Claude et Etienne, et surtout avoir une explication quant au nom de sa mère. Alors on prend une grande inspiration, et on y retourne !

mercredi 10 septembre 2014

Rentrée

Deux mois sans publier sur le blog ! Deux mois, il m'aura fallu deux mois pour me remettre du Challenge AZ de la production intensive et de la publication quotidienne d'articles ! Impossible durant l'été de trouver l'inspiration, tant l'impression d'être essorée, de n'avoir plus rien à dire, de n'avoir plus rien à partager persistait. L'angoisse de la page blanche, la panne sèche !  Et les bonnes idées du Généathème n'ont malheureusement pas changé la donne ! Quand ça veut pas, ça veut pas !

Heureusement septembre est arrivé et avec lui ce renouveau propre à chaque début d'année scolaire ! Nouveau bureau professionnel, nouveaux dossiers et nouveaux projets de collaboration ! Et au milieu de toutes ces nouveautés, j'espère trouver un nouveau souffle pour ce Blog qui me tient tant à coeur !

Il est vrai que mes recherches familiales sont quelques peu en suspens, du fait que je passe mes journées sur d'autres généalogies que la mienne. Il est vrai aussi que mes avancées sont rythmées par la mise en ligne des registres manquants dans les sites d'archives que je visite régulièrement et qu'il faut savoir être patient !

Bref c'est pleine d'espoir que je vais me remettre à l'ouvrage pour ce blog.

En attendant le prochain article, je vous propose de découvrir ou redécouvrir ci-dessous l'ensemble des articles du Challenge AZ,































lundi 30 juin 2014

Z comme Zohor

C'est le nom d'une ville et mon futur terrain d'investigations. C'est le point de départ des recherches pour lesquelles j'ai été mandatée et qui vont m'occuper une partie de l'été. Le début d'une grande aventure qui devrait me mener  à travers l'Europe, son histoire et sa géographie au cours du 20ème siècle.


Au moment où débutent mes recherches, la ville appartient à l'Autriche-Hongrie. Et puis au gré des frontières et des guerres, elle relèvera de la Hongrie, puis de la Tchécoslovaquie et enfin de la Slovaquie. Je vais dans un premier temps me familiariser avec l'histoire de cette ville et des mouvements des frontières.

Je pars à la recherche d'une famille nombreuse, et cette quête devrait m'emmener également en Ukraine. Mais pas seulement. D'après les premiers éléments en ma possession, je vais connaitre les chemins de l'exil, pour ceux d'entre eux qui sont partis aux États-Unis, mais aussi les chemins de la terreur pour ceux d'entre eux qui ont été déportés et exterminés. A la recherche de la moindre info, du moindre indice, de la plus petite pièce de puzzle qui me permettra de reconstituer l'histoire de cette famille. 

Beaucoup de travail en perspective donc, l'occasion aussi de nouer des contacts professionnels grâce aux généalogistes de toute nationalité présents sur les réseaux sociaux. Voilà qui s'annonce certes compliqué, mais ô combien formateur et passionnant.


samedi 28 juin 2014

Y comme Yerba Mate

Réédition du "Y "du précédent challenge, qui en fin de course est passé quelque peu inaperçu. Remise à l'honneur donc de ce breuvage dont tous les challengers, à cette avant dernière étape, auraient bien besoin...
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Il y a quelques temps, l'un de mes cousins éloignés, médecin et féru de généalogie, m'a fait parvenir un document qu'il avait trouvé et qui concernait l'un de nos ancêtres commun, le Docteur Charles Monot (1830-1914)  dont j'ai a plusieurs reprises parlé dans ce blog.



©Jourda


"Le Médicament dans le Nivernais au 19ème siècle" par Guy Thuillier est un ouvrage traitant des médicaments et des remèdes,et de leur place dans la société de l'époque, bien avant la mise en place d'un système de protection sociale. L'auteur prend comme champ d'analyse le Nivernais de la seconde moitié du 19ème siècle.



Il parle ainsi dans son introduction de l'importance des préparations pharmaceutiques prescrites par les médecins, et cite comme exemple le vin fortifiant du Dr Monot de Montsauche, l'Yerba Mate du Paraguay, nommé également le thé des jésuites.

Il est présenté comme étant "le réparateur par excellence, le plus efficace des nutritifs, le plus agréable des toniques".

credit : theplanteater.com
Le "vin" Monot est fabriqué à partir de matéine. Le docteur en confie la réalisation à un pharmacien d'Autun. Pour vanter les mérites de son produit, il rédige lui même un prospectus dans lequel il décrit les effets thérapeutiques de son vin, et rapporte les témoignages des patients à qui il a été prescrit.

 Le fortifiant agit sur le système digestif, stimule le système nerveux, "repose de la fatigue et excite au travail".

Il est prescrit à un prix modique aux personnes qui manquent d'appétit, qui ont besoin de se reconstituer.





vendredi 27 juin 2014

X comme Xème arrondissement

Paul est né le 12 décembre 1904, au 13 de la rue Bouchardon, Paris Xème. Il est le fils cadet de Paul Henri Dardaud et de  Flore, Juliette, le petit-fils d'Euphémie Boivin et le futur époux de Germaine. Il est le troisième d'une fratrie composée de deux autre garçons, Gabriel et Pierre.



Paul enfant © Dardaud
En 1914, au moment du décès tragique des ses parents Paul n'est pas encore âgé de 10 ans. Alors que leur frère aîné est parti pour la Belgique pour faire son noviciat et entrer dans les ordres, les deux plus jeunes sont confiés à leur famille maternelle ; leur grand-père Claude Etienne devient leur tuteur. Les deux frères vont vivre à Angerville ou Etampes, avec leurs tantes et leurs cousins.

La question de l'avenir des deux frères restés en France, va se poser. On ignore quelle est leur situation financière, ce qui leur a été laissé par leurs parents. De toutes façons, ils sont encore mineurs et doivent bien apprendre un métier.

Ils vont être confiés aux bons soins des Orphelins Apprentis d'Auteuil. Cette institution créée en 1886, existe toujours. Elle avait pour vocation d'accueillir des orphelins et de les former à un métier artisanal : boulanger, cordonnier, menuisier, fondeur, jardinier etc.

Pierre d'abord en 1916, puis rejoint par son frère Paul en août 1918, vont choisir - mais peut-être a-t-on choisi pour eux- l'imprimerie. Ils vont apprendre le métier de linotypiste.



Paul apprenti © Dardaud

L'ouvrier linotypiste doit son nom à la machine sur laquelle il travaille, la Linotype (qui vient de l'anglais "line of types", soit "ligne de caractères"). Cette machine permettait de composer au plomb fondu d'un bloc, chaque ligne de caractère préalablement saisie sur un clavier. C'est un métier qui appartient désormais à une époque révolue.


Paul salarié © Dardaud
Paul va donc commencer son apprentissage. Il va durer quatre années. Une fois achevé, Paul reste aux Orphelins apprentis d'Auteuil, en tant que salarié. 

Lors du mariage de son frère en 1925, il fait la connaissance de Germaine qu'il épouse en décembre 1927 à Paris.

Paul et Germaine ©Dardaud 
Très vite, le couple emménage à Suresnes dans les Hauts-de-Seine. Deux fils naîtront de cette union, Jacques et Yves. Le couple ne quittera jamais Suresnes et sa cité jardin, excepté pendant l'occupation, où ils trouveront refuge pour quelques mois en Haute-Saône. Après guerre, Paul et Germaine mèneront une vie paisible où enfants et petits-enfants tiendront toute leur place. Ils resteront mariés pendant plus de soixante-cinq années.

L'histoire de Paul est à la fois spécifique et universelle : il appartient, ainsi que son épouse, à cette génération qui née au début du XXème siècle, le traversera. Ensemble, ils seront les témoins de bien des évolutions technologiques et auront connu nombre de bouleversements historiques et géographiques. Ils se seront retirés, discrètement, juste avant que ce siècle tumultueux ne s'achève.


jeudi 26 juin 2014

W comme W ou le souvenir d'enfance

Georges Perec est né le 7 mars 1936 à Paris. Il est le fils de Icek Peretz et de Cyrla Szulewicz, juifs polonais immigrés en France. La famille réside à Paris, dans le 19e arrondissement. Cyrla est coiffeuse. Quand la guerre éclate en 1939, Icek s'engage dans l'armée pour combattre les nazis. Il est grièvement blessé en juin 1940, en sautant sur une mine . Il succombera à ses blessures. En 1941, Cyrla décide d'envoyer Georges chez sa tante Esther, alors installée à Villard-de-Lans. En janvier 1943, Cyrla est arrêtée puis déportée à Auschwitz d'où elle ne reviendra pas.

Ce livre devait être à l'origine  le troisième volet d'un projet autobiographique, que finalement l'auteur n'a pas mené à bien. 



Le récit autobiographique se compose de deux parties : la première relate ses six premières années passées auprès de ses parents et s'achève sur la séparation d'avec sa mère ; la deuxième période s'étend de son arrivée à Villard-de-Lans, en compagnie de son oncle, sa tante et sa cousine jusqu'à la libération. Paradoxalement,  assez rapidement, Pérec annonce qu'il n'a pas de souvenirs d'enfance. Pour reconstituer son histoire, il va pour la première partie s'appuyer sur des photos pour retrouver les visages oubliés de ses parents : il va reprendre le témoignage et les anecdotes de ses proches. Il rapporte ce qu'on lui a rapporté.  Il devient ce que j'appelle un "travailleur de la mémoire", en utilisant tout ce qui est à sa portée pour reconstituer sa propre histoire. C'est un processus très bien décrit par Boris Cyrulnik (détaillé dans ce billet "généalogie, mémoire et résilience") qui explique que lorsqu'on a un trou à l'origine de son histoire, c'est soit l'angoisse, soit la créativité. L'angoisse comme le vertige du vide, mais la créativité qui donne le gout de l'énigme.

Georges Pérec exprime sa créativité en entremêlant son récit autobiographique d'une fiction, rédigée au moment de son adolescence. Il raconte l'histoire de Gaspard Winckler, de retour de l’île de W, quelque part dans la terre de feu. La première partie de son récit s'intéresse à l'histoire des origines du narrateur, pour s'arrêter brutalement et finalement laisser place dans la deuxième  à une description extrêmement méticuleuse de l’île de W, de ses mœurs et de son système terrifiant bâti autour du sport roi, qui reprend tous les éléments des camps de concentration et d'extermination.

Les deux récits s’entremêlent pour finalement devenir indissociable . C'est une véritable quête d'identité pour récupérer ce que "l'histoire avec sa grande hache" lui a volé.

C'est un livre que j'ai lu voila des années. Mais depuis que je travaille et m'interroge sur la généalogie, je lui trouve un écho particulier, dans le fait de vouloir récupérer son histoire familiale. J'ai déjà parlé dans ce blog de ma conception de la généalogie et du métier que j'exerçais. Mais plus j'avance, plus je m'aperçois qu'à travers les demandes des personnes qui viennent me consulter, il y a cette constante quête d'identité, cette profonde interrogation sur la place que l'on occupe au sein d'une famille, d'une génération. Toutes les histoires familiales ne sont pas aussi tragiques que celles de Georges Perec, mais la démarche reste la même. Aller à la recherche de ce qu'on ignore, fouiller parmi des papiers, des photos : faire parler ceux qui ont connu ceux qui ont maintenant disparu. Replacer dans leurs contextes les personnes et les faits, comprendre, chercher à comprendre sans toujours avoir les réponses.

J'ai toujours aimé les livres de Georges Perec et son questionnement de la mémoire notamment dans la litanie de "Je me souviens". Il joue avec les codes de l'autobiographie qu'il contourne et réinvente. Il parvient ainsi, à partir de sa propre expérience à nous toucher et à tendre vers l'universel. Brillant.

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Je vous conseille pour aller plus loin de vous reporter à l'article consacré à ce livre publié sur ce blog ; très intéressant et instructif.

Pour le coté professionnel de Mémoire vive, retrouvez-moi sur le site en cliquant ici .

mercredi 25 juin 2014

V comme Veuve

Jean et Marie ont été mariés si peu de temps ! Ils se sont dit "oui" le 25 août 1913 à Montignac-sur-Vézère, en Dordogne. Un peu moins d'un an plus tard naissait leur fille -ma grand-mère Jeanne- le 26 juillet 1914.
Le 1er août, la guerre était déclarée.

crédit photo : Photopin
Jean est né le 18 septembre 1889 à Rouffignac. Il est cultivateur. Marie, est née le 15 mars 1891 à Montignac-sur-Vézère. Elle est lingère.

Marie Dome
crédit photo : Jourda



Juste une année de vie conjugale puis ce sera la séparation, non volontaire : Jean est mobilisé et affecté au 9ème Régiment d'Infanterie (devenu 209ème), en caserne à Agen, puis rapidement envoyé au front.

Jean Chanteloube
crédit photo : Jourda

Dans la famille, on raconte qu'il a pu obtenir une permission pour venir voir sa femme et sa fille.
Une seule rencontre.
Le 30 septembre 1915, il est "tué à l'ennemi" au Bois Sabot, dans la Marne. Le récit de la bataille du Bois Sabot est racontée sur différents sites Internet, dont celui-ci .


Veuve, Marie part se placer comme lingère dans une grande famille de Bordeaux, où déjà son demi-frère Albert officie comme homme de chambre. La petite Jeanne est confiée aux bons soins de sa grand-mère maternelle, Annette.



Par la suite, la jeune veuve, lasse d'être séparée de sa fille, décide de rentrer à Montignac. Elle prend en gérance une épicerie rue de Juillet appelée "La Ruche". Elle travaille et élève sa fille. Puis, devenue grande, celle-ci viendra travailler avec elle.Les deux femmes ne se sont jamais quittées, même quand Jeanne s'est mariée et a eu à son tour des enfants. Marie est toujours restée auprès de sa fille, prenant soin de ses petits-enfants en grand-mère affectionnée, attentive, exemplaire. Elle décède en 1956.

Elle est longtemps demeurée comme une figure de cette petite ville périgourdine. Elle ne s'est jamais remariée. Elle a porté le deuil de son mari toute sa vie. Quant à ma grand-mère Jeanne, elle s'est éteinte en novembre 2010, à l'âge de 96 ans.

mardi 24 juin 2014

U comme Ultimes demeures

Alors que je travaille actuellement sur des recherches qui me mènent aux confins de l'Europe centrale, m'est revenu à la mémoire cette promenade dans le vieux cimetière juif de Prague, qui m'avait inspiré ce billet sur les ultimes demeures.

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Nouvelle promenade dans la série des dernières demeures (ParisMilan et Berlin), Toussaint oblige. Mais paradoxalement, je vous propose de vous faire découvrir le vieux cimetière juif de Prague, signalé dans tous les guides touristiques et dont la visite est strictement balisée, ce qui est bien dommage pour une amatrice comme moi de déambulation entre les pierres tombales.

Nous sommes dans un endroit chargé d'histoire, en plein coeur de l'ancien ghetto, dans le quartier de Josefov. L'ancien cimetière juif est considéré comme l'un des plus anciens d'Europe : créé en 1439, il ne reçoit plus de sépultures à partir de 1787, il est le symbole de la présence et de l'influence de la communauté juive à Prague.

On est frappé au premier regard de cet enchevêtrement de stèles : on a l'impression non pas qu'elles ont été plantées dans le sol mais qu'elles en sortent, qu'elles ont poussé de manière anarchique comme des végétaux de pierre. Le guide en précise le nombre : douze mille stèles en surface, quelques milliers sous terre. La terre, la pierre et les végétaux sont intimement liés.

©Anne Dardaud


©Anne Dardaud

Les arbres continuent de pousser entre les tombes, et on ne peut s'empêcher d'y voir un symbole de vie si cher aux généalogistes...

©Anne Dardaud

©Anne Dardaud
 Les pierres brutes ont subi l'érosion du temps ; les inscriptions en hébreu, les symboles représentants les noms de famille, donnent un relief à ces stèles comme autant de sillons de vie qui ont traversé les époques.

©Anne Dardaud
©Anne Dardaud
©Anne Dardaud
©Anne Dardaud
 C'est un lieu de recueillement et l'émotion est palpable. On a à l'esprit à la fois tous les apports de cette communauté, tant artistiques qu'intellectuels à l'identité européenne en général et à Prague en particulier, et les souffrances à travers les siècles, les persécutions régulières au fil de l'histoire et bien sur la déportation et l'extermination. Ces stèles me font penser à celles qui seront dressées en 2005 à Berlin en mémoire des juifs assassinés d'Europe.

Mais on est aussi touché par la beauté de l'endroit : elle se révèle au fur et à mesure que l'on chemine, et on s'imprègne alors progressivement de la paix du lieu.

La lumière tient un rôle prépondérant : pour un moment, elle met en valeur telle sépulture, garde dans l'ombre telle autre ; elle filtre à travers les arbres et dessine des ombres sur les stèles qui se transforment en toile éphémère.

©Anne Dardaud

©Anne Dardaud

©Anne Dardaud

Loin des traditionnels chrysanthèmes déposés chaque année sur la tombe de mes défunts ancêtres, visitant une ville où je n'ai aucune attache et au-delà de l'aspect confessionnel, j'ai trouvé dans ce cimetière, fermé depuis plus de deux cents ans, une véritable aspiration à la mémoire et à l'éternité.

lundi 23 juin 2014

T comme Tante

Elle se nomme Louise. Elle est la fille aînée de Charles Monot et de Marie Meslier. Elle est née à Montsauche dans la Nièvre le 29 juin 1864. La même année, le 13 décembre, nait sa deuxième soeur, Pauline. Suivra quelques années plus tard, le 1er mars 1875, Louis, un petit frère qui ne vivra que quelques heures, puis le 27 septembre 1880, Marie, mon arrière-grand-mère.

Famille Monot - Louise à gauche ; Marie au milieu, Pauline à droite
crédit photo : Jourda


La famille réside à Montsauche où le père, médecin, est également maire de la commune.

En 1889, Pauline se marie, et la famille s’agrandit avec la venue au monde de Marguerite en 1890 et de Marie en 1893. Louise devient alors Tante Louise. Les années passent, mais Louise demeure célibataire. Elle vit avec ses parents dans la demeure familiale de Montsauche. En 1904, c'est au tour de sa petite soeur Marie de prendre époux. Bientôt de nouveaux neveux viennent compléter la famille : Anne-Marie (ma grand-mère) en 1905, Elisabeth en 1906, Charles en 1908 et la petite Marguerite en 1911.

Les trois soeurs Monot et leur mère ; Louise à droite
Louise vit au rythme de la famille, des naissances et des deuils. Celui de son grand-père Louis Meslier d'abord en 1880, puis celui de sa nièce Marguerite , fille de Pauline, en 1908, dans des conditions tragiques (relatées dans ce billet). Son père s'éteint à l'âge de 83 ans, le 14 février 1914. Louise demeure naturellement aux côtés de sa mère, qui disparaît à son tour le 27 août 1928.

Louise reste seule dans la maison de Montsauche. Sa soeur Pauline réside avec son mari et sa fille en Saône-et-Loire ; en revanche, Marie la benjamine, habite avec son époux et ses enfants à Lormes à une vingtaine de kilomètres de Montsauche. Les deux soeurs se voient souvent.

Louise dans sa maison de Montsauche
crédit photo : Jourda

La vie suit son cours, les neveux et nièces se marient à leur tour. De nouveaux bébés viennent agrandir la famille ; Louise devient grand-tante. La voilà doyenne de la famille, gardienne de la mémoire de l'histoire de son père, de son œuvre et de son empreinte dans la région.

Louise avec le bébé sur les genoux - mon père - posant avec sa soeur Marie à sa droite, sa nièce et ses petites nièces
crédit photo : Jourda
Sa vie aurait pu se dérouler jusqu'à son terme paisiblement. Mais l'Histoire avec un grand H et la guerre en ont décidé autrement.

Le 26 juin 1944, la commune de Montsauche est intégralement incendiée par les soldats allemands, battant alors en retraite. Les habitants ont juste eu le temps de rassembler leurs effets personnels et sortir de chez eux. La maison de famille a complètement brulé. Tous les nombreux travaux de son père, mais aussi tous les meubles, les livres précieux de la bibliothèque, les papiers de famille, les photos ont été détruits.


 crédit photo : Jourda

 La pauvre tante Louise ne s'en relèvera pas. Elle décèdera quelques semaines plus tard.


samedi 21 juin 2014

S comme Soeur

Elle s'appelle Anne Dardaud. Elle est née à Limoges le 24 octobre 1835. Elle est la fille de Martial Dardaud et de Antoinette Rambaud. Deux après sa naissance, elle devient pour la première fois "soeur" ; sa mère met au monde un "petit frère" baptisé Pierre mais qui plus tard se fera appeler Léon.

La famille vit à Limoges. Le père exerce la profession de cordier. Plus tard son fils reprendra la même activité ; mais il quittera le Limousin pour venir s'installer d'abord à Montreuil, puis à Angerville, dans l'Essonne.

Pierre dit Léon Dardaud dans sa corderie;
crédit photo Dardaud
Quant à Anne, on la perd de vue ; c'est une oubliée de l'histoire familiale. Les générations suivantes ne connaissent pas son nom, ni son existence. Et là aussi, c'est par le biais de la recherche généalogique qu'on la retrouve, au détour d'un acte de décès. Elle est décédée à Clichy, le 31 mars 1905; elle était religieuse. La soeur de Pierre-dit-Léon est restée à l'état de "sœur" toute sa vie ; ni épouse, ni mère, ni tante. Elle aura consacrée toute sa vie à la religion.


vendredi 20 juin 2014

R comme Rendez-vous

R comme Réédition d'un billet publié l'année passée que j'avais envie de remettre à l'honneur, car il illustre parfaitement les joies et surprises de la généalogie.
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Lors de la première rencontre avec une personne qui vient solliciter votre aide pour retrouver ses ancêtres, on lui pose naturellement de nombreuses questions. D'où venez-vous ? D'où sont originaires vos parents ? Que savez-vous de vos origines familiales ? Que souhaitez-vous comme recherche ? A partir de ses réponses se dessinent progressivement les contours de la recherche à venir ainsi que les lieux où elle va nous emmener. Terres connues, terres inconnues, nous nous préparons à voyager dans le temps et dans l'espace, à travers l'exploration de régions, de départements, de communes aux noms parfois si poétiques. L'entretien terminé, nous sommes prêts à partir, tels des aventuriers, armés de la carte des archives départementales accessibles depuis le Net, de notre calendrier révolutionnaire, de nos codes d'accès à différents sites dédiés, de provisions de thé et de café, et bien sûr, en cas d'urgence et d'égarement, de fusées de détresse à envoyer via les réseaux sociaux à la communauté de généalogistes qui y sévit.

Une des personnes pour qui je travaille actuellement ne connaissait que peu de choses de la branche paternelle de sa branche maternelle. Elle savait juste que son grand-père était originaire du Morvan. Cette région aux confins de l'Yonne, de la Nièvre, de la Côte-d'Or et de la Saône-et-Loire est chère à mon cœur. C'est la terre d'une partie de mes ancêtres et sur laquelle évoluent encore nombre de leurs descendants.
La recherche s'annonçait bien, j'étais en terre connue.


©Anne Dardaud

Je finis par apprendre que ce grand-père était né au début du siècle dernier à Ouroux, rebaptisé depuis les années soixante, Ouroux-en-Morvan, dans la Nièvre. Le champ de recherche se réduisait et d'heureux hasards m'amenaient sur le territoire d'une commune que je connais physiquement, dans une aire géographique familière.

Ouroux-en-Morvan

Les tables décennales et les registres n'étant pas encore accessibles sur Internet, je commence alors mes explorations par le recensement de la commune en 1911 ; là je trouve la famille en question, ainsi que leurs professions et leurs lieux de naissance. Le père est né à Paris, mais la mère, dont le nom de jeune fille n'est pas mentionné, est née à Montsauche, en 1891. Or Montsauche, rebaptisée également Montsauche-les-Settons, est l'autre berceau de ma famille : mon arrière-grand-mère y est née, et son père en a été le maire de 1875 à 1914. En mon for intérieur, je me dis qu'il serait amusant, au détour d'un acte, de le retrouver dans ses fonctions d'officier d'état civil.

Il s'agit du Docteur Charles Monot, dont j'ai déjà parlé dans un précédent billet, et dont voici le merveilleux portrait.


Né à Moux dans la Nièvre en 1830,  il "monte" à Paris faire ses études de médecine. Très tôt sensibilisé aux problèmes de mortalité infantile, il est l'auteur de l'essai "De la mortalité excessive des enfants pendant la première année de leur existence, ses causes et des moyens de la restreindre" daté de 1872. Il est également à l'origine de la loi Roussel de 1884 pour la protection des nouveau-nés, et qui règlemente la profession des nourrices dont l'industrie était extrêmement présente dans le Morvan (voir le billet "Le lait du Morvan").


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k75697g


C'est par conséquent sous l’œil bienveillant de cet honorable ancêtre que je passe sur les archives de la commune de Montsauche.


La personne que je recherche ne m'est connue que sous son nom d'épouse. Je ne dispose que de l'année de sa naissance : 1891. Je m'oriente dans un premier temps sur le recensement de 1891 ; je retrouve la famille grâce à la mention d'un nouveau-né de sexe féminin qui porte le même prénom que la personne que je recherche. C'est le seul nourrisson recensé dans la commune qui porte ce prénom. La probabilité qu'il s'agisse de la bonne personne est grande. Munie de ce nom de famille, je me dirige vers les tables décennales. Je trouve sa date de naissance ; mais les registres de l'état civil s'arrêtent à 1888. J'envoie alors une demande par écrit à la mairie et la réponse est tombée la semaine dernière : il s'agit de la bonne personne ; son mariage est mentionné dans la marge et c'est bien mon aïeul qui a enregistré sa naissance.


Les probabilités étaient grandes en effet dès lors que nous nous trouvions sur cette commune, à cette époque. Mais il n'empêche : rien ne laissait supposer que les descendants de ces personnes se retrouvent plus d'un siècle après la signature de cet acte, à plus de deux cents kilomètres de cette commune, dans une ville qui compte plus de deux millions d'habitants.

Ou alors au contraire, les chances étaient plus grandes du fait que ce sont les descendants de ces personnes qui peuplent la capitale. Les Parisiens sur plusieurs générations sont assez rares, et quand bien même, Paris a toujours été une terre d'accueil où se sont brassées à travers les siècles des populations aux origines variées. Parmi elles, beaucoup sont venues du Morvan.

http://www.lamorvandelle.org/Pages/Sommaire%20journ.html
Alors oui, finalement le poète Paul Eluard avait raison : "Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous ".