Mémoire vive / Côté professionnel

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De la découverte de vos ancêtres à la transmission de vos histoires et souvenirs de famille

mercredi 9 février 2011

Le lait du Morvan


Si selon le proverbe bourguignon, "du Morvan ne viennent ni bons vents, ni bonnes gens", la rencontre avec le docteur Charles Monot contredit ce funeste adage.



Né à Moux en 1830, il tient sa vocation de médecin de ses grand-père et arrière grand-père du coté maternel, tous deux chirurgiens.

Après des études à la faculté de médecine de Paris, il revient s’installer dans son Morvan natal, d’abord à Moux puis à Montsauche. Il se marie avec une jeune fille dont la famille est également originaire de la région depuis de nombreuses générations ; de cette union naîtront 4 enfants, deux filles, dans un premier temps, puis un fils qui ne vivra que quelques heures, puis à nouveau une fille.




Homme de son temps, doté d'une conscience politique et s’intéressant à la chose publique, il va s'impliquer dans la vie de sa commune et de sa région. Il est élu maire de Montsauche.




L'homme décrit par ses contemporains comme bon et charitable, va s'illustrer dans le combat qu’il va mener contre la mortalité infantile qui sévit alors dans la région, et militer pour une réglementation de l'industrie des nourrices.
Dès le 18ème siècle, la pratique dans les familles aisées de faire nourrir les nouveaux nés avec le lait d'une autre femme se généralise. Les morvandelles ont toujours eu la réputation, justifiée, d'être d'excellentes nourrices ; leur lait était sain et abondant. C'est l’une des raisons pour laquelle le métier de nourrice a toujours été exercé en Morvan.  Le recours aux nourrices morvandelles dès le début du second empire devient un véritable phénomène de société.

Deux professions se dessinent : les nourrices sur lieu et les nourrices sur place.

Les nourrices sur lieu

Les femmes qui venaient d'accoucher quittaient leur foyer, quelques semaines après la venue au monde leur enfant, pour aller vendre leur lait en élevant au sein des enfants de la bourgeoisie parisienne.

La nourrice, était considérée comme une domestique de haut rang : lui incombait la charge, non seulement de nourrir le petit de la famille, mais aussi de le soigner, de le présenter. De part son rôle, elle est particulièrement bien traitée : bon salaire, belle tenues, bonne nourriture.  Certaines vont se retrouver dans des familles prestigieuses et vont découvrir un mode de vie très éloigné de leur condition modeste, ainsi cette native d’Ouroux-en-Morvan, qui suivit la famille Andrassy jusqu’en Hongrie .

De fait, elles deviennent aussi un incroyable facteur de développement de la région : quand elles sont de retour chez elles, elles rapportent, non seulement une paye conséquente qui va permettre de moderniser les habitations rustiques et parfois insalubres, on les appellera alors des "maisons de lait", mais également importer les us et coutumes en vigueur alors dans la capitale, surtout en matière d'hygiène.

Cette émancipation des femmes, comme souvent facteur de progrès, ne sera pas sans causer quelques problèmes, notamment chez leur morvandiau de mari, qui ne verra pas toujours d'un très bon oeil tous ces changements. Leur statut de mâle dominant est alors remis en cause ; leurs femmes sont plus éduquées, gagnent plus d'argent, et repartent en ville dès qu'elles le peuvent, c'est à dire dès la venue au monde d'un nouvel enfant. Et justement, là se pose le problème de ce nouveau né, qui se doit d'être sevré très rapidement, afin que sa mère puisse partir vendre son précieux lait à Paris. Beaucoup de mortalité chez ces enfants, sevrés parfois trop tôt, confiés au reste de la famille et nourri au biberon de l'époque, c'est à dire avec un lait de vache pas adapté aux bébés, dans des flacons à l'hygiène douteuse.

Les nourrices sur place ou l'industrie des enfants assistés.

Ces femmes accueillaient pour les nourrir les nouveaux nés abandonnés à l'assistance publique de Paris. Elles "montaient" à la capitale, chercher les enfants et les "redescendaient"  chez elles. Ces enfants que l'on nomme "Les petits Paris" restaient généralement à vie dans la famille où ils étaient traités comme membre à part entière.

Cependant la mortalité chez ces enfants était très élevée : dans son étude le Docteur Monot évalue qu'entre 1858 et 1869,  33% des enfants placés meurent entre 8 jours et trois mois après leur arrivée dans leur famille d'accueil. De nombreuses raisons sont identifiées : le sevrage trop rapide, les conditions de transports, les mauvaises conditions d'hygiène, les mauvais traitements dont certains enfants sont victimes, les trafics d'enfants mis en place par des personnes mal intentionnées, l'absence de tout contrôle sur les nourrices. 

Jules Renard, originaire de la Nièvre, dresse dans son journal un portrait plutôt terrifiant d'une nourrice rencontrée lors d'un voyage en train :


"NOURRICES
(20 août 1901) Rentré à Chaumot après voyages au Breuil et à Bussang.
L'énorme nourrice qui sentait Château-Chinon à plein nez. Je me ratatinais
dans mon coin, mais la chair croulait, et je sentais à la cuisse une chaleur grasse et écoeurante. Elle était assise, genoux écartés, les mains aux ongles noirs sur les genoux. Elle dormait bouche ouverte. Je remuais brusquement. Elle s'éveillait et tâchait de relever ses graisses, mais tout retombait. Entre sa cuisse et la mienne je glissais des journaux. Ça me tenait encore plus chaud, mais j'étais moins écoeuré.
La "meneuse" avec ses trois femmes. Air rusé, presque distingué, de femme maigre qui ne craint pas les voyages, une dame qui se sait supérieure aux trois pauvres vaches à lait qu'elle emmène à Paris. A côté d'elles, sa boîte carré en bois verni avec la plaque de cuivre : "Service de l'assistance publique".




Devant cet état de fait, le docteur Monot va proposer dès 1865 de légiférer sur la question de l'industrie des nourrices et la protection infantile. Mais c'est en 1874 que le docteur Roussel, fera voter une loi visant l'encadrement de cette industrie particulière en fixant une limite d'âge à l'exercice du métier, en établissant des contrôles plus stricts impliquant à la fois les autorités de l'Etat et celles du département.

Pour aller plus loin : http://www.liberation.fr/societe/0101616240-un-morvan-tres-nourrissant ainsi que toute une littérature sur le sujet, et de nombreux sites internet sur le Morvan qui retracent l'épopée de ces nourrices et l'impact sur la région.

Quant au docteur Monot, il demeure une figure de Montsauche et au delà, du Morvan, homme de bien, attentif à ses concitoyens et à ses patients. Au moment de son décès en 1914, les hommages les plus vibrants lui ont été rendus. C'est non seulement le portrait d'un homme charitable, rempli de compassion et emprunt d'une très grande humanité qui se dessine, mais surtout d'un médecin dévoué corps et âme à son métier qu'il exerça comme un sacerdoce.

Discours du Docteur Nolot, prononcé aux obsèques du Docteur Monot, célébrées
le lundi16 février 1914, et retranscrit dans le bulletin paroissial.












mardi 25 janvier 2011

Familles, je vous lis !

Quelques lectures qui m'ont inspirée la création de Mémoire vive ; la généalogie est certes une passion, mais lorsque cette passion rencontre des échos dans la littérature et qui plus est chez les auteurs qu'on chérit, on ne peut qu'y voir un signe, confortant l'envie que l'on a d'en faire son métier.
Le plus amusant est de retrouver parmi les lectures de l'enfance, ce livre reçu comme prix de fin d'année, en classe de CP : "L'arbre aux ancêtres".



Prémonitoire ? au même titre que mes balades d'enfant au cimetière Montparnasse, ou encore les balades nocturnes en famille l'été au cimetière de Lormes où l'on assiste aux plus beaux couchers de soleil ? Simple coïncidence, peut être mais en tous cas la prise de conscience dès le plus jeune âge que beaucoup de personnes nous ont précédées, que nous ne sommes que la continuation d'un début, les bourgeons d'une branche vivante, qui génération après génération se perpétue. Apprentissage de l'humilité

La lecture a contribué à renforcer cette conscience du monde des ancêtres ; les sagas familiales où l'on suit un enfant qui deviendra un homme, un mari, un père un grand père et rejoindra le caveau familial où l'attendent ses aïeux et nous, lecteur, continuerons à s'intéresser à ses descendants, sur plusieurs générations.

Les quatre tomes de la saga de la famille Boussardel, de Philippe Hériat ; histoire d'une famille bourgeoise parisienne du Second empire aux années 1950. Le premier volume, intitulé "Les enfants gâtés" reçu le prix Goncourt en 1939, et le deuxième, "Famille Boussardel" le grand prix de l'Académie française en 1944.
Suivront les "Les grilles d'or" et "Le temps d'aimer". Plaisant à lire. Du moins le souvenir que j'en ai...


Plus récemment, Nancy Houston et "Lignes de faille", quatre narrateurs appartenant à quatre générations différentes et dont les récits s'inscrivent dans la révélation d'une histoire familiale complexe.



Quand les photos deviennent le support de la mémoire et de la transmission d'une histoire familiale, c'est par ce biais que Jonathan Coe dans "La pluie avant qu'elle tombe" raconte l'histoire d'une famille anglaise depuis la seconde guerre mondiale à nos jours. Le récit se déroule au fur et à mesure de l'évocation des souvenirs d'une vieille dame, qui choisit de décrire 10 photos et à partir de là, raconter l'histoire des protagonistes présents sur les clichés. C'est cet ouvrage qui est directement à l'origine du recueil d'anamnèses que je propose à mes clients.



"La légende de nos pères" de Sorj Chalandon,  pose la question à travers le travail d'un biographe familial, pour qui "toute vie mérite d'être racontée",  de la confrontation, parfois brutale, de la réalité des souvenirs et la légende familiale.




 
Et puis bien sûr, Georges Perec et "Je me souviens", litanie pèle-mêle de tout ce qui peut se trouver dans la mémoire d'un homme ; des souvenirs personnels aux résonances universelles. Mémoire commune d'une génération.






Voila pour cette liste bien entendu non exhaustive de ces lectures où il est question de famille et de mémoire, inspirateurs directs ou indirects de mon goût pour la généalogie et l'histoire des personnes dans leur époque..;


 


dimanche 9 janvier 2011

Une girafe dans l’arbre

C’est au cours des premières recherches généalogiques, effectuées pour le compte de la famille à laquelle je suis alliée depuis maintenant une quinzaine d’années, que j’ai rencontré la girafe Zarafa. Cadeau du Pacha d’Egypte Mohammed Ali au roi de France Charles X, son histoire et celle de son périple ont fait l’objet d’un livre écrit par l'un des ascendants de l’arbre en cours d’élaboration : Gabriel Dardaud. Journaliste et correspondant de guerre, directeur de l’agence France-Presse pour le Moyen-Orient et envoyé permanent pour différents médias de la presse écrite et radiophonique, il avait exhumé cette histoire des archives de la bibliothèque nationale du Caire où il demeurait. Il entreprit alors de relater cette véritable épopée qui allait mener ce girafeau, baptisé Zarafa, de son Soudan natal où l’animal avait été capturé, jusqu’en France.

Le livre de Gabriel Dardaud  "Une girafe pour le roi" est publié  pour la première fois en 1985. Il a été réédité en 2007, préfacé et annoté par Olivier Lebleu, spécialiste de la girafe, lui même auteur du superbe livre "Les avatars de Zarafa", sur l'incroyable girafomania, que suscita l'arrivée de la première girafe sur le sol français.






Outre la girafe, véritable héroïne de ce récit, Gabriel Dardaud met en scène un roi français, Charles X,  frère de Louis XVI et de  Louis XVIII à qui il vient de succéder ; un pacha, musulman albanais d'origine, Mohammed Ali, vassal du sultan de Constantinople dont il cherche à s'émanciper et à obtenir un jour l'indépendance de l'Egypte ; un diplomate piémontais, Bernardino Drovetti,  représentant de  la France pendant près de 25 ans auprès du Pacha, à qui il va souffler l'idée de ce fabuleux cadeau ; un scientifique éminent et vieillissant en la personne de Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, qui n'hésitera pas à payer de sa personne en allant lui même chercher la girafe à Marseille et en l'accompagnant, à pied, jusqu'à Paris.


Charles X

Mohammed Ali pacha

Etienne Geoffroy Saint-Hilaire









Bernardino Drovetti


 






On rencontre également un palefrenier avisé, le « Saïs » Hassan, qui va prendre grand soin de ce précieux chargement ; deux jeunes soudanais, Atis et Youssef, également du voyage pour accompagner et aider l'animal à s'acclimater. Un couple d’antilopes et trois vaches, dont le précieux lait permettra de nourrir et de maintenir en bonne santé le jeune animal, complètent ce cortège insolite, placé, le temps de la traversée de la méditerranée, sous la surveillance de militaires de haut rang.

Tous ces protagonistes apportent à ce récit historique une touche de romanesque, sur fond de géopolitique, donnant un instantané des relations internationales et de ses enjeux dans cette première moitié du XIXème siècle. Nous avons là un éclairage inédit d'une période de l'histoire mal connue.

Quant à son auteur, Gabriel Dardaud (1899-1993), Olivier Lebleu retrace dans la préface du livre sa vie et son œuvre et nous décrit, dans ces premières pages, un homme à l'histoire tout aussi passionnante. Grand témoin du siècle dernier, de ses contractions et de ses évolutions, spécialiste du Moyen-Orient où il aura passé la majeure partie de sa vie, nous nous trouvons en présence d'un homme doté d'une personnalité remarquable. La mise en perspective de sa propre confrontation à l'histoire et le récit étonnant qu'il nous offre, donne au livre une dimension particulière, absente de la première édition.

Une rencontre avec une girafe et un homme, tous deux aux destins hors du commun, voici une première recherche qui plaçait ma carrière débutante sous les meilleurs augures...