Mémoire vive / Côté professionnel

Mémoire vive / Côté professionnel
De la découverte de vos ancêtres à la transmission de vos histoires et souvenirs de famille

lundi 28 mars 2011

Dans les pas de Guillaume



En écho à l’article précédent, balade sur les traces de Guillaume – cultivateur devenu grenadier le temps de l'expédition au Mexique –, de ses ancêtres et de ses descendants, entre Montmaur, forteresse cathare, Saint-Paulet, Soupex et Saint-Félix Lauragais, sous un beau soleil de juillet, au milieu des tournesols.

Les terres qu’ils ont travaillées sont toujours en culture et donnent une dimension intemporelle à ces images ; on se dit que rien n'a vraiment changé depuis le XIXe siècle. Les églises qu'ils ont fréquentées pour les baptêmes, les mariages et les enterrements sont toujours dressées, de même que les mairies, lieux gardant la mémoire des trois moments clés de leur existence.

Ces décors grandeur nature offrent à la généalogiste que je suis un cadre propice à donner corps aux noms trouvés dans les registres d'état civil et sur les tombes.

En me tenant là où ils se sont tenus, en foulant les lieux qu'ils ont foulés, des années après eux, j’ai cette sensation très étrange de venir à leur rencontre sur leurs terres, bien éloignées des dépôts d’archives et autres archives numérisées accessibles depuis mon ordinateur. De la généalogie en 3D !

Impressions en 12 clichés.

Montmaur

©Anne Jourda-Dardaud


©Anne Jourda-Dardaud


©Anne Jourda-Dardaud



  ©Anne Jourda-Dardaud


entre Montmaur, Saint-Paulet et Saint-Félix Lauragais

 ©Anne Jourda-Dardaud



 ©Anne Jourda-Dardaud


 ©Anne Jourda-Dardaud

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Saint-Félix Lauragais

 ©Anne Jourda-Dardaud

 ©Anne Jourda-Dardaud

 ©Anne Jourda-Dardaud

 ©Anne Jourda-Dardaud
 

mercredi 9 mars 2011

Un lauragais au Mexique

Rencontre cette fois-ci avec un homme, originaire du Lauragais, région située entre l'Aude et la Haute-Garonne, au sud de Toulouse, laboureur de son état, ne sachant ni lire ni écrire, et qui par les hasards de la conscription s'est retrouvé membre de l'expédition menée par Napoléon III au Mexique.
Épisode de l'histoire souvent ignoré mais qui connaît ces dernières semaines une résonance toute particulière au regard de l'actualité des relations franco-mexicaines.







Un peu d'histoire...

En 1861, Napoléon III, prétextant la suspension par le Mexique du remboursement de la dette extérieure du pays, décide avec l’aide de l’Angleterre et de l’Espagne d’organiser une expédition punitive. Officiellement, il s’agit de contraindre le gouvernement mexicain à tenir ses engagements, mais officieusement Napoléon III souhaite renverser ce régime, instable depuis l’obtention de son indépendance quarante années plus tôt.


Napoléon III
Benito Juàrez
Edouard Manet
L'exécution de l'empereur Maximilien à Querétaro


Le Mexique a alors à sa tête Benito Juárez, président élu en 1858. À peine entré en fonction, il doit faire face à une rébellion des généraux conservateurs qui va plonger le pays dans un nouvel épisode de guerre civile. Juárez en sortira vainqueur mais très fragilisé : le pays est exsangue. Les caisses sont vides, les traites ne peuvent par conséquent pas être honorées.

Dans l’esprit de Napoléon III germe peu à peu l’idée de renverser Juárez et de restaurer un empire Mexicain avec à sa tête un empereur européen, catholique et si possible apparenté à la puissante famille des Habsbourg, fournisseur officiel de têtes couronnées. Le choix de Napoléon III se porte sur Maximilien, frère de l’empereur d’Autriche François-Joseph, alors libre de toute responsabilité politique : il vient de décliner le titre de roi de Grèce. L'entreprise s'annonce sous les meilleurs auspices ; l'Angleterre et l'Espagne se joignent à l'expédition, les États-Unis, alors en pleine guerre de Sécession, ne pourront intervenir et apporter de l'aide au gouvernement Juárez.

Dans un premier temps, les efforts des Européens portent leurs fruits ; l'avancée est rapide, mais très vite les Anglais et les Espagnols vont se désolidariser des Français et se retirer.  Malgré la défection de leurs alliés, les Français vont marcher jusqu'à Mexico et, en juillet 1863, le gouvernement est renversé ; les notables de la ville proposent la couronne impériale à Maximilien qui, non pressé de répondre, n'acceptera qu'en 1864, laissant les forces françaises le soin de tenir les positions acquises et faire régner un semblant d'ordre.

Mais à chaque fois qu'une ville est prise, les habitants pro Juárez ˗ ne pouvant pas tous être emprisonnés ˗ sont relâchés et vont grossir les rangs de la guérilla. Bientôt les Français vont avoir affaire à une résistance de plus en plus organisée et déterminée. En 1865, les Mexicains obtiennent le renfort d'anciens combattants de la guerre de Sécession qui vient de prendre fin.

Les évènements prennent alors un tour défavorable pour les forces françaises ; en outre, la situation en Europe devient de plus en plus préoccupante : les Autrichiens sont défaits à Sadowa, en 1866, et l'empire français se retrouve seul face aux ambitions hégémoniques de Bismarck. Ne pouvant mener deux guerres à la fois à des milliers de kilomètres de distance, Napoléon III décide de retirer ses troupes et le dernier navire français quitte le Mexique en février 1867. L'empereur Maximilien pensait pouvoir maintenir en l'état son pouvoir, sans aide française ; il refuse d'abdiquer, quitte Mexico pour Querétaro où il est rapidement cerné par les troupes juaristes. Il est alors fait prisonnier, condamné à mort et exécuté le 19 juin 1867.


Quant à Guillaume, le laboureur du Lauragais devenu grenadier au Mexique, il a fait partie de la première vague de soldats de l'expédition, en arrivant sur le sol mexicain en août 1862. Il y demeurera jusqu'en janvier 1864, puis rentrera chez lui. Il se mariera, reprendra une vie normale, et quelques années plus tard, son fils aîné, Paul, sera à son tour appelé par les hasards de la conscription et incorporera un régiment d'artillerie de marine qui rejoindra l'expédition au Tonkin, à la fin des années 1880. Mais ça, c'est une autre histoire...

Les articles de Wikipédia retraçant le "guêpier mexicain" ainsi que la biographie de Maximilien sont bien documentés et de lecture très agréable.

Et puis, parce qu’il s’agit de Gary Cooper et Burt Lancaster, impossible de ne pas faire référence à "Vera Cruz", super western qui se déroule au moment des faits, de même que l'action de "Sierra Torride", dans un autre genre, avec Clint Eastwood et Shirley McLaine. Ou comment appréhender cet épisode de l'histoire par le prisme de Hollywood. Pas désagréable non plus.














mercredi 9 février 2011

Le lait du Morvan


Si selon le proverbe bourguignon, "du Morvan ne viennent ni bons vents, ni bonnes gens", la rencontre avec le docteur Charles Monot contredit ce funeste adage.



Né à Moux en 1830, il tient sa vocation de médecin de ses grand-père et arrière grand-père du coté maternel, tous deux chirurgiens.

Après des études à la faculté de médecine de Paris, il revient s’installer dans son Morvan natal, d’abord à Moux puis à Montsauche. Il se marie avec une jeune fille dont la famille est également originaire de la région depuis de nombreuses générations ; de cette union naîtront 4 enfants, deux filles, dans un premier temps, puis un fils qui ne vivra que quelques heures, puis à nouveau une fille.




Homme de son temps, doté d'une conscience politique et s’intéressant à la chose publique, il va s'impliquer dans la vie de sa commune et de sa région. Il est élu maire de Montsauche.




L'homme décrit par ses contemporains comme bon et charitable, va s'illustrer dans le combat qu’il va mener contre la mortalité infantile qui sévit alors dans la région, et militer pour une réglementation de l'industrie des nourrices.
Dès le 18ème siècle, la pratique dans les familles aisées de faire nourrir les nouveaux nés avec le lait d'une autre femme se généralise. Les morvandelles ont toujours eu la réputation, justifiée, d'être d'excellentes nourrices ; leur lait était sain et abondant. C'est l’une des raisons pour laquelle le métier de nourrice a toujours été exercé en Morvan.  Le recours aux nourrices morvandelles dès le début du second empire devient un véritable phénomène de société.

Deux professions se dessinent : les nourrices sur lieu et les nourrices sur place.

Les nourrices sur lieu

Les femmes qui venaient d'accoucher quittaient leur foyer, quelques semaines après la venue au monde leur enfant, pour aller vendre leur lait en élevant au sein des enfants de la bourgeoisie parisienne.

La nourrice, était considérée comme une domestique de haut rang : lui incombait la charge, non seulement de nourrir le petit de la famille, mais aussi de le soigner, de le présenter. De part son rôle, elle est particulièrement bien traitée : bon salaire, belle tenues, bonne nourriture.  Certaines vont se retrouver dans des familles prestigieuses et vont découvrir un mode de vie très éloigné de leur condition modeste, ainsi cette native d’Ouroux-en-Morvan, qui suivit la famille Andrassy jusqu’en Hongrie .

De fait, elles deviennent aussi un incroyable facteur de développement de la région : quand elles sont de retour chez elles, elles rapportent, non seulement une paye conséquente qui va permettre de moderniser les habitations rustiques et parfois insalubres, on les appellera alors des "maisons de lait", mais également importer les us et coutumes en vigueur alors dans la capitale, surtout en matière d'hygiène.

Cette émancipation des femmes, comme souvent facteur de progrès, ne sera pas sans causer quelques problèmes, notamment chez leur morvandiau de mari, qui ne verra pas toujours d'un très bon oeil tous ces changements. Leur statut de mâle dominant est alors remis en cause ; leurs femmes sont plus éduquées, gagnent plus d'argent, et repartent en ville dès qu'elles le peuvent, c'est à dire dès la venue au monde d'un nouvel enfant. Et justement, là se pose le problème de ce nouveau né, qui se doit d'être sevré très rapidement, afin que sa mère puisse partir vendre son précieux lait à Paris. Beaucoup de mortalité chez ces enfants, sevrés parfois trop tôt, confiés au reste de la famille et nourri au biberon de l'époque, c'est à dire avec un lait de vache pas adapté aux bébés, dans des flacons à l'hygiène douteuse.

Les nourrices sur place ou l'industrie des enfants assistés.

Ces femmes accueillaient pour les nourrir les nouveaux nés abandonnés à l'assistance publique de Paris. Elles "montaient" à la capitale, chercher les enfants et les "redescendaient"  chez elles. Ces enfants que l'on nomme "Les petits Paris" restaient généralement à vie dans la famille où ils étaient traités comme membre à part entière.

Cependant la mortalité chez ces enfants était très élevée : dans son étude le Docteur Monot évalue qu'entre 1858 et 1869,  33% des enfants placés meurent entre 8 jours et trois mois après leur arrivée dans leur famille d'accueil. De nombreuses raisons sont identifiées : le sevrage trop rapide, les conditions de transports, les mauvaises conditions d'hygiène, les mauvais traitements dont certains enfants sont victimes, les trafics d'enfants mis en place par des personnes mal intentionnées, l'absence de tout contrôle sur les nourrices. 

Jules Renard, originaire de la Nièvre, dresse dans son journal un portrait plutôt terrifiant d'une nourrice rencontrée lors d'un voyage en train :


"NOURRICES
(20 août 1901) Rentré à Chaumot après voyages au Breuil et à Bussang.
L'énorme nourrice qui sentait Château-Chinon à plein nez. Je me ratatinais
dans mon coin, mais la chair croulait, et je sentais à la cuisse une chaleur grasse et écoeurante. Elle était assise, genoux écartés, les mains aux ongles noirs sur les genoux. Elle dormait bouche ouverte. Je remuais brusquement. Elle s'éveillait et tâchait de relever ses graisses, mais tout retombait. Entre sa cuisse et la mienne je glissais des journaux. Ça me tenait encore plus chaud, mais j'étais moins écoeuré.
La "meneuse" avec ses trois femmes. Air rusé, presque distingué, de femme maigre qui ne craint pas les voyages, une dame qui se sait supérieure aux trois pauvres vaches à lait qu'elle emmène à Paris. A côté d'elles, sa boîte carré en bois verni avec la plaque de cuivre : "Service de l'assistance publique".




Devant cet état de fait, le docteur Monot va proposer dès 1865 de légiférer sur la question de l'industrie des nourrices et la protection infantile. Mais c'est en 1874 que le docteur Roussel, fera voter une loi visant l'encadrement de cette industrie particulière en fixant une limite d'âge à l'exercice du métier, en établissant des contrôles plus stricts impliquant à la fois les autorités de l'Etat et celles du département.

Pour aller plus loin : http://www.liberation.fr/societe/0101616240-un-morvan-tres-nourrissant ainsi que toute une littérature sur le sujet, et de nombreux sites internet sur le Morvan qui retracent l'épopée de ces nourrices et l'impact sur la région.

Quant au docteur Monot, il demeure une figure de Montsauche et au delà, du Morvan, homme de bien, attentif à ses concitoyens et à ses patients. Au moment de son décès en 1914, les hommages les plus vibrants lui ont été rendus. C'est non seulement le portrait d'un homme charitable, rempli de compassion et emprunt d'une très grande humanité qui se dessine, mais surtout d'un médecin dévoué corps et âme à son métier qu'il exerça comme un sacerdoce.

Discours du Docteur Nolot, prononcé aux obsèques du Docteur Monot, célébrées
le lundi16 février 1914, et retranscrit dans le bulletin paroissial.