Si selon le proverbe bourguignon, "du Morvan ne viennent ni bons vents, ni bonnes gens", la rencontre avec le docteur Charles Monot contredit ce funeste adage.
Né à Moux en 1830, il tient sa vocation de médecin de ses grand-père et arrière grand-père du coté maternel, tous deux chirurgiens.
Après des études à la faculté de médecine de Paris, il revient s’installer dans son Morvan natal, d’abord à Moux puis à Montsauche. Il se marie avec une jeune fille dont la famille est également originaire de la région depuis de nombreuses générations ; de cette union naîtront 4 enfants, deux filles, dans un premier temps, puis un fils qui ne vivra que quelques heures, puis à nouveau une fille.
Homme de son temps, doté d'une conscience politique et s’intéressant à la chose publique, il va s'impliquer dans la vie de sa commune et de sa région. Il est élu maire de Montsauche.
L'homme décrit par ses contemporains comme bon et charitable, va s'illustrer dans le combat qu’il va mener contre la mortalité infantile qui sévit alors dans la région, et militer pour une réglementation de l'industrie des nourrices.
Dès le 18ème siècle, la pratique dans les familles aisées de faire nourrir les nouveaux nés avec le lait d'une autre femme se généralise. Les morvandelles ont toujours eu la réputation, justifiée, d'être d'excellentes nourrices ; leur lait était sain et abondant. C'est l’une des raisons pour laquelle le métier de nourrice a toujours été exercé en Morvan. Le recours aux nourrices morvandelles dès le début du second empire devient un véritable phénomène de société.
Deux professions se dessinent : les nourrices sur lieu et les nourrices sur place.
Les nourrices sur lieu
Les femmes qui venaient d'accoucher quittaient leur foyer, quelques semaines après la venue au monde leur enfant, pour aller vendre leur lait en élevant au sein des enfants de la bourgeoisie parisienne.
La nourrice, était considérée comme une domestique de haut rang : lui incombait la charge, non seulement de nourrir le petit de la famille, mais aussi de le soigner, de le présenter. De part son rôle, elle est particulièrement bien traitée : bon salaire, belle tenues, bonne nourriture. Certaines vont se retrouver dans des familles prestigieuses et vont découvrir un mode de vie très éloigné de leur condition modeste, ainsi cette native d’Ouroux-en-Morvan, qui suivit la famille Andrassy jusqu’en Hongrie .
De fait, elles deviennent aussi un incroyable facteur de développement de la région : quand elles sont de retour chez elles, elles rapportent, non seulement une paye conséquente qui va permettre de moderniser les habitations rustiques et parfois insalubres, on les appellera alors des "maisons de lait", mais également importer les us et coutumes en vigueur alors dans la capitale, surtout en matière d'hygiène.
Cette émancipation des femmes, comme souvent facteur de progrès, ne sera pas sans causer quelques problèmes, notamment chez leur morvandiau de mari, qui ne verra pas toujours d'un très bon oeil tous ces changements. Leur statut de mâle dominant est alors remis en cause ; leurs femmes sont plus éduquées, gagnent plus d'argent, et repartent en ville dès qu'elles le peuvent, c'est à dire dès la venue au monde d'un nouvel enfant. Et justement, là se pose le problème de ce nouveau né, qui se doit d'être sevré très rapidement, afin que sa mère puisse partir vendre son précieux lait à Paris. Beaucoup de mortalité chez ces enfants, sevrés parfois trop tôt, confiés au reste de la famille et nourri au biberon de l'époque, c'est à dire avec un lait de vache pas adapté aux bébés, dans des flacons à l'hygiène douteuse.
Les nourrices sur place ou l'industrie des enfants assistés.
Ces femmes accueillaient pour les nourrir les nouveaux nés abandonnés à l'assistance publique de Paris. Elles "montaient" à la capitale, chercher les enfants et les "redescendaient" chez elles. Ces enfants que l'on nomme "Les petits Paris" restaient généralement à vie dans la famille où ils étaient traités comme membre à part entière.
Ces femmes accueillaient pour les nourrir les nouveaux nés abandonnés à l'assistance publique de Paris. Elles "montaient" à la capitale, chercher les enfants et les "redescendaient" chez elles. Ces enfants que l'on nomme "Les petits Paris" restaient généralement à vie dans la famille où ils étaient traités comme membre à part entière.
Cependant la mortalité chez ces enfants était très élevée : dans son étude le Docteur Monot évalue qu'entre 1858 et 1869, 33% des enfants placés meurent entre 8 jours et trois mois après leur arrivée dans leur famille d'accueil. De nombreuses raisons sont identifiées : le sevrage trop rapide, les conditions de transports, les mauvaises conditions d'hygiène, les mauvais traitements dont certains enfants sont victimes, les trafics d'enfants mis en place par des personnes mal intentionnées, l'absence de tout contrôle sur les nourrices.
Jules Renard, originaire de la Nièvre, dresse dans son journal un portrait plutôt terrifiant d'une nourrice rencontrée lors d'un voyage en train :
"NOURRICES
(20 août 1901) Rentré à Chaumot après voyages au Breuil et à Bussang.
L'énorme nourrice qui sentait Château-Chinon à plein nez. Je me ratatinais
dans mon coin, mais la chair croulait, et je sentais à la cuisse une chaleur grasse et écoeurante. Elle était assise, genoux écartés, les mains aux ongles noirs sur les genoux. Elle dormait bouche ouverte. Je remuais brusquement. Elle s'éveillait et tâchait de relever ses graisses, mais tout retombait. Entre sa cuisse et la mienne je glissais des journaux. Ça me tenait encore plus chaud, mais j'étais moins écoeuré.
La "meneuse" avec ses trois femmes. Air rusé, presque distingué, de femme maigre qui ne craint pas les voyages, une dame qui se sait supérieure aux trois pauvres vaches à lait qu'elle emmène à Paris. A côté d'elles, sa boîte carré en bois verni avec la plaque de cuivre : "Service de l'assistance publique".
Devant cet état de fait, le docteur Monot va proposer dès 1865 de légiférer sur la question de l'industrie des nourrices et la protection infantile. Mais c'est en 1874 que le docteur Roussel, fera voter une loi visant l'encadrement de cette industrie particulière en fixant une limite d'âge à l'exercice du métier, en établissant des contrôles plus stricts impliquant à la fois les autorités de l'Etat et celles du département.
Pour aller plus loin : http://www.liberation.fr/societe/0101616240-un-morvan-tres-nourrissant ainsi que toute une littérature sur le sujet, et de nombreux sites internet sur le Morvan qui retracent l'épopée de ces nourrices et l'impact sur la région.
Quant au docteur Monot, il demeure une figure de Montsauche et au delà, du Morvan, homme de bien, attentif à ses concitoyens et à ses patients. Au moment de son décès en 1914, les hommages les plus vibrants lui ont été rendus. C'est non seulement le portrait d'un homme charitable, rempli de compassion et emprunt d'une très grande humanité qui se dessine, mais surtout d'un médecin dévoué corps et âme à son métier qu'il exerça comme un sacerdoce.
Discours du Docteur Nolot, prononcé aux obsèques du Docteur Monot, célébrées
le lundi16 février 1914, et retranscrit dans le bulletin paroissial.