Lorsque le second conflit mondial éclate et que cette armée française est défaite en quelques semaines, c'est la stupéfaction.
Mon grand-père Alfred, dont j'ai à plusieurs reprises dressé le portrait et celui de sa famille, était militaire de carrière ; il s'était engagé après son service militaire et était diplômé de l'école des sous-officiers de Saint-Maixent.
A l'orée de la guerre, il est marié, père de deux enfants, un troisième s'annonce. Il vit à Nevers avec sa famille et son ordonnance. Il est alors capitaine.
La guerre est déclarée en septembre 1939, mais les premiers combats ne commencent vraiment qu'en juin 1940. Son épouse, enceinte et ses enfants s'installent à Lormes, chez sa belle-mère.
Alfred est sur le front, mais il ne le restera pas longtemps : il est capturé le 16 juin 1940. J'imagine son état de sidération à l'instar du reste de la France, qui vivait encore du souvenir de la victoire de 1918, qui se croyait bien à l'abri derrière la ligne Maginot, qui ne se doutait pas que les forces allemandes reprendraient le même chemin qu'en 1914 pour entrer dans le pays. Le gouvernement et l'état major français n'étaient pas passés à l'ère moderne, aveuglés par leurs certitudes, sûrs de leur position de vainqueur.
Alfred est d'abord envoyé au Camp de Mailly, où il va y passer deux mois. Il peut correspondre avec sa famille, il demande qu'on lui envoie des vêtements et que l'on fasse faire par le boulanger de Lormes des pains de garde et des biscuits de soldat.
J'imagine le colis envoyé et la photo de famille faite à son intention qui est jointe à l'envoi.
En août 1940, il est envoyé à l'Oflag XIA, à Osterode, dans le secteur d’Hanovre où il demeure jusqu'en mai 1941. Puis, de mai 1941 à août 1942, il se retrouve à l'Oflag XD, situé à Fischbeck en Allemagne. Enfin, à partir de 1942, jusqu'à sa libération en 1945, il est détenu à l'Oflag XVIIA, à l'extrême est de l'Autriche.
Alfred est sur le front, mais il ne le restera pas longtemps : il est capturé le 16 juin 1940. J'imagine son état de sidération à l'instar du reste de la France, qui vivait encore du souvenir de la victoire de 1918, qui se croyait bien à l'abri derrière la ligne Maginot, qui ne se doutait pas que les forces allemandes reprendraient le même chemin qu'en 1914 pour entrer dans le pays. Le gouvernement et l'état major français n'étaient pas passés à l'ère moderne, aveuglés par leurs certitudes, sûrs de leur position de vainqueur.
Alfred est d'abord envoyé au Camp de Mailly, où il va y passer deux mois. Il peut correspondre avec sa famille, il demande qu'on lui envoie des vêtements et que l'on fasse faire par le boulanger de Lormes des pains de garde et des biscuits de soldat.
J'imagine le colis envoyé et la photo de famille faite à son intention qui est jointe à l'envoi.
©Jourda |
Je ne sais que très peu de choses sur ses conditions de détention, sur sa vie quotidienne. Trouver de quoi manger était la première de ses préoccupations ; c'était un homme originaire du sud-ouest, avec des origines paysannes, amateur de bonne chère et qui n'avait jamais manqué de rien. Durant sa détention, il va perdre 30 kilos.
La deuxième de ses préoccupations était l'activité, tromper la faim en s'occupant. C'était un homme actif, habitué aussi bien aux travaux manuels qu'intellectuels. Là, en tant qu'officier-prisonnier, il n'a rien à faire.
Alors son occupation principale va être de recopier, page après page, un livre de recettes de cuisine, véritable supplice de tantale.
©Jourda |
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Parmi ses camarades de détention, certains mettent à profit leurs talents artistiques et font le portrait de leur co-détenus.
©Jourda |
A son retour, Alfred ne racontera que peu de choses de ses quatre années de captivité. Il gardera cette habitude de trancher le pain de manière tellement régulière pour que chaque morceau ait exactement au gramme près, la même épaisseur.
Il reprend sa vie de militaire, la famille s'installe à Bourges. Il veut devenir instructeur, il continue d'étudier, il passe examen sur examen. Sa progression au sein de l'armée se poursuit. Il devrait devenir commandant.
Mais il est rentré malade de détention. Il souffre d'un diabète. En formation à l'école d'application du matériel à Fontainebleau, il décède d'un malaise diabétique le 8 novembre 1950.
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Jacques Tardi qui par le passé a relaté les atrocités de la première guerre et de la (sur)vie dans les tranchées, a sorti à la fin de l'année 2012, un ouvrage où il raconte la vie de prisonnier de son père René, à partir des souvenirs que celui-ci lui a confiés, à la fin de son existence.
C'est d'une grande précision. En le lisant, j'ai retrouvé les quelques éléments, les quelques bribes d'informations qui m'étaient parvenues par le filtre de mon père, qui lui même ne savait pas grand-chose des années de captivité de son propre père. La préface de l'ouvrage est remarquable et donne avec le recul plusieurs éléments d'explication du silence des prisonniers à leur retour : l'humiliation de la défaite, notamment au regard des anciens combattants "victorieux" de 14-18 ; la découverte et l'abomination des camps d'extermination, tragédie à laquelle ils n'ont pas voulu confronter leur propre captivité, par peur peut-être de paraître indécent. Et puis pour parler, il faut être écouter, et dans l'immédiate après-guerre, il n'y a de place que pour les récits de bravoure des résistants ; on enterre juin 40, la collaboration et avec eux la parole des prisonniers.
©Tardi |
©Tardi |
Et puis, il y a ce documentaire sur l'Oflag XVIIA, tourné à l'insu des gardes allemands par un groupe d'officiers français prisonniers. C'est le dernier camp où Alfred a été détenu à partir d'août 1942.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerMon père a été envoyé en Allemagne au Service du Travail Obligatoire. Il m'a raconté que les gendarmes l'avaient menacé de s'en prendre à ses soeurs si jamais il se sauvait (ils étaient orphelins de père et mère).J'ai conservé un petit carnet de son séjour forcé où il écrivait brièvement ses journées. Il disait qu'il n'était pas à plaindre par rapport à d'autres mais quand je le vois si maigre sur une photo, à son retour, c'est évident que la vie avait été dure mais il restait pudique. Son copain et lui étaient sous les bombardements quand il se sont enfuis, il m'a raconté comment ils s'étaient cachés. Le cousin de ma mère, lui, était prisonnier de guerre (aux yeux des gens, c'était mieux que STO ... plus glorieux sans doûte).Ils parlaient beaucoup ensemble. Cousin Georges racontait qu'il mourrait de faim et qu'il n'avait pas le droit de manger les pommes tombées à terre, même les pourries, sous peine d'être fusillé de suite. Merci pour ce témoignage qui fait remonter mes propres souvenirs.
RépondreSupprimerSinon, j'ai été impressionnée par la rédaction des recettes de cuisine, c'est fort et bouleversant.
RépondreSupprimerMerci pour ce billet. Mon père était aussi en stalag dans le cadre du STO et ne m'a parlé qu'une fois sommairement de ce qu'il y avait vécu. C'est pourquoi ce billet m'a particulièrement intéressé ainsi que le commentaire d'Annick49. Il est certain qu'avoir été en Allemagne dans le cadre du STO est encore aujourd'hui assez mal vu, comme si tous ceux qui y avaient été y allaient volontairement avec un sentiment pro-allemand. C'est très dur et injuste pour ceux qui y ont été contraints.
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